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.Le Bain

Le bain dans la mythologie

Le bain dans la mythologie

Suzanne et les vieillards

Suzanne et les vieillards

Les bains latins

Les bains latins

Le bain médiéval

Le bain médiéval

La toilette sèche

La toilette sèche

La baignoire de Louis XIV

La baignoire de Louis XIV

Le retour en grâce du bain

Le retour en grâce du bain

Un esprit sain dans un corps sain

Un esprit sain dans un corps sain

Le lent apprentissage de l'hygiène

Le lent apprentissage de l'hygiène

Le tube de toilette

Le tube de toilette

Le bain est un plaisir

Le bain est un plaisir

Les étuves médiévales

Les étuves médiévales

Le jardin des délices

Le jardin des délices

Couvrez ce sein que je ne saurais voir

Couvrez ce sein que je ne saurais voir

Sous la chape morale, les plaisirs

Sous la chape morale, les plaisirs

A l'avant-garde de la libération des mœurs

A l'avant-garde de la libération des mœurs

Le « nu au bain » devient réaliste

Le « nu au bain » devient réaliste

La dolce vita

La dolce vita

Le suicide de Sénèque ou le bain fatal

Le suicide de Sénèque ou le bain fatal

L'assassinat de Marat

L'assassinat de Marat

Entre ici Jean Moulin !

Entre ici Jean Moulin !

Les maîtres du mystère

Les maîtres du mystère

Suzanne et les vieillards

Parmi les légendes liées au bain, un épisode de l'Ancien Testament a particulièrement inspiré les peintres, c'est l'histoire de Suzanne et les Vieillards, ou comment Daniel a gagné ses galons de prophète.

Histoire de Suzanne

Suzanne, une femme pieuse et très belle, est mariée au riche Joakim. Tous deux vivent à Babylone dans une belle maison dotée d'un jardin. Parce qu'ils sont riches et respectés, de nombreux juifs viennent chez eux pour régler leurs différends en présence de deux vieillards choisis parmi le peuple pour leur sagesse.

L'après-midi, une fois les hôtes partis, Suzanne a l'habitude de se promener dans le jardin. Les deux vieux juges la croisent quotidiennement et, sans se l'avouer mutuellement, parce qu'ils ont honte, se mettent à la désirer ardemment.

Un jour, n'en pouvant plus, et s'étant séparés pour aller dîner, chacun des deux vieillards revient sur ses pas pour la contempler... et se rencontrent à nouveau ! Ils finissent donc par s'avouer leur désir et décident d'agir ensemble.

Guettant l'occasion favorable, cachés dans le jardin, les deux vieillards libidineux surprennent une conversation entre Suzanne et deux servantes qui l'accompagnent. Suzanne leur demande de fermer les portes du jardin et d'aller quérir de l'huile et des parfums afin qu'elle se baigne parce qu'il fait chaud.

Les jeunes filles parties, les vieux sages sortent de leur cachette et lui proposent un odieux chantage :

« Voici que les portes du jardin sont fermées, personne ne nous voit et nous sommes pleins de désir pour toi ; donne-nous donc ton assentiment et sois à nous. Sinon, nous témoignerons contre toi qu'un jeune homme était avec toi et que c'est pour cela que tu as renvoyé les jeunes filles. »

Considérant qu'elle est perdue quel que soit son choix, Suzanne choisit pourtant de ne pas céder, afin de ne pas pécher. Elle se met donc à crier, tout comme les deux lascars qui, dans le même temps ouvrent les portes du jardin. Des gens accourent et écoutent les mensonges des vieillards.

Le lendemain, le peuple est rassemblé chez Joakim. Les deux anciens, crédibles parce que juges du peuple, réitèrent leur accusation :

« Comme nous nous promenions seuls dans le jardin, celle ci est entrée avec deux servantes ; elle a fait fermer les portes du jardin et renvoyé les servantes ; puis un jeune homme qui était caché est venu vers elle et a péché avec elle. En voyant le crime, nous avons couru vers eux et nous les avons vu s'unir. De lui, nous n'avons pu nous rendre maîtres, parce qu'il était plus fort que nous et qu'ayant ouvert les portes, il s'est échappé. Mais nous avons demandé à Suzanne quel était ce jeune homme et elle n'a pas voulu nous le révéler. De tout cela nous sommes témoins. »

Suzanne répond :

« Dieu éternel, qui connais les secrets et qui sais tout avant que cela n'arrive, tu sais qu'ils ont porté contre moi un faux témoignage, et voici que je meurs sans avoir rien fait de ce que ceux-ci ont méchamment imaginé contre moi. »

Dieu entend Suzanne et éveille l'esprit saint de Daniel, un jeune garçon, alors qu'elle est conduite à la mort. Daniel demande alors à interroger les deux vieillards séparément. Il demande au premier sous quel arbre se tenaient Suzanne et son amant. Le vieillard assure qu'il s'agissait d'un lentisque. Le deuxième vieillard, à qui Daniel pose la même question, évoque un chêne.

Daniel ayant prouvé que le témoignage des deux vieillards était faux, ceux-ci sont condamnés à mort et Suzanne est lavée de tout soupçon d'adultère.

Et c'est ainsi que Daniel devint grand devant le peuple, à partir de ce jour et dans la suite du temps.

01 - Composition de la sainte écriture, ou le "Ci nous dit"

Auteur : Anonyme, Ecole française
Année : XIV° siècle
Technique : enluminure, parchemin
Format : 18 cm X 14 cm
Localisation : Chantilly, musée Condé
Copyright : RMN / René-Gabriel Ojéda

02 - « Fleur des histoires », Suzanne et les vieillards

Auteur : Jean Mansel
Année : XV° siècle
Technique : enluminure
Format : 18 cm X 14 cm
Localisation : BnF, manuscrits occidentaux
Copyright : Français 55, BnF

03 - Suzanne et les vieillards (détail)

Auteur : Domenico di Michelino
Année : XV° siècle
Technique : huile
Format : 43 cm X 170 cm
Localisation : Avignon, musée du Petit Palais, collection Campana
Copyright : RMN / René-Gabriel Ojéda

04 - Suzanne au bain (1)

Auteur : Jacopo Robusti, dit le Tintoret
Année : XVI° siècle
Technique : huile sur toile
Format : 167 cm X 238 cm
Localisation : Paris, musée du Louvre
Copyright : RMN / Hervé Lewandowski / Thierry Le Mage

l'auteur :

Le père, Battista Robusti, était teinturier, aussi baptisa-t-on le fils: Tintoret. Jacopo naît à Venise en 1518. Certains lui donnent Titien comme professeur, d'autres Boniface de Pitabi. Quoi qu'il en soit, il subit dans sa jeunesse l'influence du premier avant de s'en défaire et d'adopter un style maniériste, proche du baroque, à la fois dynamique et tourmenté, aux éclairages dramatisants. En 1564, il est nommé décorateur de la Scuola Grande di San Rocco à Venise, institution pour laquelle, jusqu'en 1588, il peint soixante-sept tableaux. Très réputé dans toute l'Italie, invité à la cour des Gonzague à Mantoue en 1578, Tintoret travaille vite, après avoir souvent étudié les lumières grâce à des maquettes en cire des scènes et des personnages qu'il doit peindre, ce qui confère à son œuvre son aspect théâtral. Il meurt à Venise en 1594

l'œuvre :

Ici, la singularité de la Suzanne au bain de Tintoret réside à la fois dans la perspective dessinée par la rangée d'arbre reliant le corps nu aux regards libidineux des vieillards, et par ce miroir posé au sol, entre les jambes de la belle, et qui ne réfléchit rien. Comme plus tard chez Rembrandt et Rubens, il est ici question de peinture, de voyeurisme et de désir. Figures peintes, les vieillards ne regardent rien, ne voient rien. En revanche, notre regard que le Tintoret rend libidineux cherche dans le miroir à apercevoir l'intimité de Suzanne. Mais Suzanne est chaste et nous ne voyons rien. Et nous ne voyons rien parce que nous ne regardons pas là où il faut regarder, parce que nous cherchons le sujet sans même voir la peinture.

05 - Suzanne au bain (2)

Auteur : Jacopo Robusti, dit le Tintoret
Année : 1555
Technique : huile sur toile
Format : 146 x 193,6 cm
Localisation : Wien, Kunsthistorisches Museum
Copyright : Photobusiness - ARTOTHEK

l'œuvre :

Dans cette autre version du même thème de Suzanne au bain, Tintoret, cette fois-ci, relie entre eux les regards des deux vieillards par une perspective dessinée par la haie végétale. Le miroir, qui ne reflète rien sinon un bout de tissu blanc, est placé entre eux. Et l'eau de la fontaine, qui fonctionne comme le miroir du tableau du Louvre, ne montre, en dehors de sa somptueuse transparence, rien d'autre que le reflet des pierres. L'histoire est la même, seule la mise en scène diffère. Mais cette fois-ci nous avons compris. Nous ne chercherons pas l'intimité de Suzanne dans la rivière où elle ne se trouve pas. Et c'est bien dommage, parce que si le reflet de Suzanne n'y est pas, la peinture elle, y est, magnifique, grandiose, vertigineuse.

06 - Suzanne et les vieillards

Auteur : Véronèse Caliari Paolo
Année : XVI° siècle
Technique : huile sur toile
Format : 198 cm X 198 cm
Localisation : Paris, musée du Louvre
Copyright : RMN / Gérard Blot

l'auteur :

De sa naissance à Vérone, en 1528, Paolo Caliari tire son surnom : Véronèse. Mais malgré cette naissance et son installation tardive à Venise (probablement 1557), il est un véritable peintre Vénitien, l'un des plus grands de ce que l'on appelle la Renaissance tardive, avec ses deux contemporains Titien et Tintoret. Comme ce dernier, Véronèse est un artiste maniériste - par opposition à l'art classique, raffiné et virtuose qu'incarne encore Titien. Grand coloriste, habile dans le trompe-l'oeil, féru d'architecture (son père était tailleur de pierre), Véronèse excelle dans les scènes grandioses - les Noces de Cana ou le Repas chez Levi, tableau pour lequel il est condamné en 1573 par l'Inquisition pour les licences prises avec les dogmes religieux. Comme Tintoret, il peint très vite, mais sa pratique du dumping dans le dos de ses confrères (plus vite, moins cher) lui vaut une mauvaise réputation. Il meurt à Venise en 1588.

l'œuvre :

Dans sa version de Suzanne, Véronèse montre des vieillards menaçants, insistants, aux gestes déplacés. Ils ne regardent plus, ils agissent. L'un d'eux glisse même la main vers la gorge de la belle. Et que fait l'autre, la main droite posée contre la fontaine et la gauche... oui la gauche...? Et le délicieux faune, sculpté comme une figure de proue, lui, observe la scène en souriant: ce n'est effectivement pas le petit chien caché sous la jupe de Suzanne qui défendra sa vertu. Quoi qu'il en soit, Véronèse parvient ici à créer un camaïeu de gris - ocrés, verdâtres - qui surgit sous l'orangé et le rose des vêtements, et qui teinte le ciel vénitien d'une indicible mélancolie.

07 - Suzanne et les deux vieillards

Auteur : Rembrandt van Rijn
Année : 1647
Technique : huile sur bois (acajou)
Format : 76,6 x 92,7 cm
Localisation : Berlin, Gemäldegalerie
Copyright : Blauel - ARTOTHEK

l'auteur :

Rembrandt naît à Leyde, aux Pays Bas, le 15 juillet 1606 - son nom, van Rijn, signifiant près du Rhin, là où se trouve sa ville natale. Après ses années d'apprentissage, il ouvre un atelier à Leyde, trouve très vite le succès et s'installe à Amsterdam en 1631. Aussi réputé comme peintre que comme graveur, maître de ce qu'on appellera le clair-obscur, Rembrandt dynamise la peinture de son temps (La Ronde de nuit, 1641). Jusqu'à sa mort, le 4 octobre 1669, il peint plus de six cents tableaux (richement colorés dans sa jeunesse, sombres, sobres et intimistes dans les années 40 et, à partir des années 50, plus fougueux et d'une subtile richesse chromatique), une centaine d'autoportraits, et grave plus de trois cents eaux-fortes. Mais malgré sa renommée et l'ampleur de sa production, celui qui reste comme le plus grand peintre du XVIIème siècle hollandais, et l'un des plus grands artistes de l'histoire, pour avoir trop richement vécu se déclare en faillite en 1657 et meurt ruiné douze ans plus tard.

l'œuvre :

Rembrandt peint sa Suzanne en 1647, une période où sa palette se réduit - ici des bruns, des ocres, des rouges. Comme dans le tableau de Véronèse du Louvre, les vieillards se montrent très entreprenants. Curieusement, Suzanne ne semble pas affolée. Elle joint les mains dans un geste de prière qui ressemble au geste du plongeur. Et c'est elle qui regarde. Elle regarde le spectateur, c'est-à-dire Rembrandt lui-même, et peut-être cherche-t-elle son autorisation. A moins qu'elle se soit rendue compte qu'elle était épiée par le spectateur qui se retrouve par conséquent dans le rôle de l'un des vieillards. Mais les vieillards sont des fictions, des figures peintes, de la matière colorée et ordonnée. Qui est alors le véritable voyeur de cette histoire ?

08 - Suzanne au bain

Auteur : Pierre Paul Rubens
Année : 1636/1639
Technique : huile sur bois (chêne)
Format : 77 x 110 cm.
Localisation : München, Alte Pinakothek
Copyright : Blauel/Gnamm - ARTOTHEK

l'auteur :

Né en 1577 en Wesphalie - son père avait fuit Anvers la Flandre en proie aux guerres de religions -, Pierre Paul Rubens s'installe à Anvers en 1589 où il entre en apprentissage dans divers ateliers de peintres. Toute sa vie il mènera de front deux activités : la peinture et la diplomatie. La première lui procure la richesse et la gloire. Son atelier anversois est renommé et emploie des artistes eux aussi réputés, comme Jordaens, Snyders, ou même Antoon Van Dyck qui fut son premier assistant entre 1610 et 1614. La seconde lui assura la confiance des princes (il participa à l'élaboration de la paix entre l'Angleterre et l'Espagne), au point que Marie de Médicis, à la fin de sa vie, se réfugia dans sa maison d'Anvers où elle mourut en 1642, deux ans après lui.

l'œuvre :

La Suzanne au Bain est un tableau tardif de Rubens. On y voit tout ce qui fit sa renommée : les couleurs flamboyantes qu'il emprunta aux Vénitiens, (principalement à Titien dont il découvrit l'œuvre lors de son voyage en Italie entre 1600 et 1608), et le baroque sensuel, ce luxe décoratif, qui impressionna tant Renoir. Comme chez Rembrandt, Suzanne regarde le spectateur qui va devenir le témoin d'un coït - si l'on en juge par la fougue des vieillards, la position de la belle et le geste ambigu de sa main droite. Nous y sommes conviés. Comme chez Rembrandt, il s'agit ici avant tout de désir et de regard, c'est-à-dire de peinture.

09 - Suzanne et les vieillards

Auteur : Giovanni Antonio Pellegrini
Année : XVIII° siècle
Technique : huile sur toile
Format : 117 x 99 cm.
Localisation : Dijon, musée Magnin
Copyright : RMN / Franck Raux

l'auteur :

Giovanni Antonio Pellegrini est ce qu'on appelle un artiste rococo - pour ne pas employer le mot kitsch. Il est né vers 1675 à Venise. Il travailla beaucoup en Angleterre, entre 17O8 et 1713, à l'invitation de Lord Manchester qui avait été ambassadeur à Venise. Puis il voyagea aux Pays-Bas et en Allemagne, et revint en Angleterre en 1719. Il travailla comme décorateur dans les principales cours européennes, et fut reçu à l'Académie royale de peinture et de sculpture de Paris en 1733 - La Peinture et le dessin faisant l'éducation de l'Amour, aujourd'hui au Louvre. Il meurt à Venise en 1741.

l'œuvre :

La Suzanne de Pellegrini est un peu niaise. Elle se gratte la tête, comme si elle réfléchissait à la proposition des deux vieillards. Eux paraissent plutôt tranquilles, un peu taquins comme deux enfants espiègles. Le sein dénudé est une coquetterie coquine propre au XVIIIème siècle. Mais les couleurs de l'œuvre sont indiscutablement vénitiennes, douces et subtiles. Le fond, ce ciel vert et bleu pâles, est particulièrement réussi et prouve que le peintre fut un décorateur habile. Pellegrini est un artiste mineur, mais on pense que sa palette influença peut-être celle de son cadet Tiepolo, né à Venise en 1696.

10 - Suzanne et les vieillards, la chaste Suzanne

Auteur : Eugène Delacroix
Année : XIX° siècle
Technique : huile sur toile
Localisation : Lille, Palais des Beaux-Arts
Copyright : RMN / Philipp Bernard

l'auteur :

Né à Charenton-le-Pont en 1798, Eugène Delacroix est LE peintre romantique français, et l'un des plus grands artistes du XIXème siècle. Il est le fils d'un homme politique, député puis préfet - mais la rumeur court qu'il est en fait le fils naturel de Talleyrand qui toujours veilla sur lui. Il est l'élève de Guérin, bon professeur mais médiocre peintre néo-classique. Grand admirateur de Rubens, de Vélazquez, ou de Véronèse, très vite il privilégie la couleur et hâte le dessin, ce qui l'opposera à son contemporain Jean-Dominique Ingres, l'autre monstre sacré, considéré à tort comme un néo-classique. Le succès est rapide: ses premières œuvres importantes (Dante et Virgile aux Enfers, 1822, et le Massacre de Scio, 1824) sont achetées par l'Etat. En 1932, Delacroix entame un long voyage au Maroc. A son retour, il se consacre à des commandes de grandes décorations, pour le Salon du Roi, au Palais Bourbon, pour le Palais du Luxembourg, le Louvre ou l'église Saint-Sulpice. Au sommet de sa gloire, il mène une vie mondaine, entre à l'Institut en 1857 et fonde la Société des Beaux-Arts en 1862, deux ans avant sa mort.

l'œuvre :

La Suzanne de Delacroix est chaste - du moins est-ce le sous-titre de cette esquisse pour un tableau qui ne sera jamais peint. Cette oeuvre en évoque une autre, une esquisse d'une Piéta conservée au Louvre, peinte en 1837, dont le tableau final, à la composition inversée, se trouve dans l'église Saint-Denys du Saint-Sacrement à Paris. Dans les deux tableaux, Delacroix a peint une forme, végétale ou minérale, évoquant le rideau d'un théâtre. Dans l'œuvre de Saint-Denys, le rideau s'ouvrait sur une Vierge éplorée, les bras écartés comme s'il s'agissait d'une croix. Il s'ouvre ici sur une scène décrivant une véritable agression: les vieillards s'apprêtent à violer la belle. Et la chaste Suzanne paraît s'abandonner, comme si elle était morte, transformant du coup les vieillards en croquemorts et le tableau, singularité de sa composition, en une étrange déposition de croix.

11 - Suzanne

Auteur : Gustave Moreau
Année : XIX° siècle
Technique : huile sur toile
Format : 33 X 40 cm
Localisation : Paris, musée Gustave Moreau
Copyright : RMN / René-Gabriel Ojéda

l'auteur :

Gustave Moreau est un peintre inclassable. Fils d'architecte, né à Paris en 1826, de santé fragile, il n'entre à l'Ecole royale des beaux-arts qu'en 1846, rate deux dois le Prix de Rome, subit l'influence de Théodre Chasseriau, peintre néo-classique élève de Ingres, et voyage plusieurs fois en Italie où il copie les maîtres. Tout cela donnera un art un peu académique, un peu italien tendance Carpaccio, un peu romantique, un peu symboliste, un peu religieux, en fait très singulier dans son désir d'échapper à la réalité. Moreau exposera plusieurs fois aux Salons avec une fortune inégale. Napoléon III aimait son art, ce qui lui permit d'obtenir des médailles, une Légion d'Honneur et, en 1888, un poste à l'Académie. En 1892, et jusqu'à sa mort en 1898, il enseigna à l'Ecole des Beaux-Arts où il eut comme élèves Matisse, Rouault, Manguin ou Marquet.

l'œuvre :

Dans cette esquisse, Suzanne entre dans le bain et sa position rappelle celle d'une étude de femme de Moreau pour Dalila. Les deux vieillards sont cachés derrière un mur. Dans un autre dessin, on retrouve ces mêmes figures s'approchant de la belle défendue par Daniel lors du jugement final. Plus aucun sentiment libidineux chez le brave Moreau. Nous sommes dans la deuxième moitié du XIXème siècle. L'ordre bourgeois règne. La sensualité est proscrite. L'étincelle brillant dans le regard des spectateurs des siècles passés s'est éteinte. Moreau lui-même a intitulé un autre de ses tableaux la Chaste Suzanne. « Et les enfants de chœur / se masturbaient tout tristes », chantait Brassens.

12 - Suzanne et les deux vieillards

Auteur : Lovis Corinth
Année : 1923
Technique : huile sur toile
Format : 150,3 x 111 cm
Localisation : Hannover, Landesmuseum
Copyright : Blauel/Gnamm - ARTOTHEK

l'auteur :

Lovis Corinth est un artiste immense longtemps ignoré en dehors de son pays. Il est né en 1858 en Prusse-Orientale, a fréquenté l'académie des Bedaux-Arts de Königsberg, puis en 1880 celle de Munich, avant de faire, en 1884, le rituel voyage à Paris où il intègre l'atelier de Bouguereau et l'académie Julian. Mais Corinth rentra en Allemagne et y resta. A Berlin, puis à Munich en 1891, puis à partir de 1901 définitivement à Berlin où il devint, avec Max Liebermann (un autre grand peintre méconnu), membre puis, de 1915 à sa mort en 1925, président de la Sécession berlinoise. Ne sachant trop où le mettre, on classe souvent Corinth à mi-chemin entre l'Impressionnisme (avec lequel il flirta un peu) et l'expressionnisme. En fait, Corinth est un artiste libre, qui sut se dégager des codes de son époque, et inventer un expressionnisme somptueux à la lisière de l'abstraction.

l'œuvre :

C'est dans un étroit intervalle entre expressionnisme et abstraction que se situe la Suzanne de Lovis Corinth. Lorsqu'il réalise cette aquarelle, en 1923, le peintre est lui-même âgé de 65 ans, et il y a fort à parier qu'il se place du côté des vieillards libidineux. C'est pourquoi ces derniers paraissent plus rigolards que menaçants. Quant à Suzanne, femme généreuse, plantureuse, désirable, elle parlemente avec les deux hommes, d'égal à égal, face à face. Ce n'est donc pas une Suzanne craintive, ni même la chaste Suzanne du mythe, mais une femme moderne, sensuelle, comme les aimait et les peignait le truculent Corinth, qui se plaisait souvent à se représenter, lui, en Bacchus hilare.

13 - Suzanne et les vieillards

Auteur : Raoul Dufy
Année : vers 1945
Technique : huile sur panneau d'Isorel
Format : 40 X 50 cm
Localisation : Paris, musée national d'Art moderne - Centre Georges Pompidou
Copyright : ADAGP, Photo CNAC/MNAM, Dist. RMN / Jean-François Tomasian

l'auteur :

Il y a deux Dufy: celui d'avant la guerre de 14-18 et celui d'après. Le premier c'est l'adolescent qui suit des cours du soir aux Beaux-Arts du Havre (où il est né en 1877), qui rencontre Othon Friesz, puis Marquet, et qui rejoint en 1905 le fauvisme de Matisse. Le second c'est l'artiste mondain, qui dessine les étoffes de Paul Poiret, et, jusqu'à sa mort en 1953, décore aussi bien les pièces de théâtre que les intérieurs bourgeois.

l'œuvre :

Suzanne et les vieillards, tableau peint en 1945, appartient à cette deuxième époque, où Dufy a abandonné depuis longtemps l'héritage de Cézanne et de Matisse, où son trait s'est ramolli, où les couleurs se sont délavées. Quant à Suzanne, elle a perdu sa sensualité, son érotisme, et jusqu'à l'intérêt même des vieillards assoupis. Comme si Dufy lui-même ne croyait plus au pouvoir de sa peinture.

14 - Etude pour "Suzanne et les vieillards"

Auteur : Jean-Michel Alberola
Année : 1981
Technique : Pastel et fusain sur 2 feuilles de papier verge collées
Format : 41 X 50 cm
Localisation : Paris, musée national d'Art moderne - Centre Georges Pompidou
Copyright : ADAGP, Photo CNAC/MNAM, Dist. RMN / Philippe Migeat

l'auteur :

Né en 1953 en Algérie, Jean-Michel Alberola est à l'origine un peintre qui, à force de se poser des questions sur l'avenir de son médium, a fini par s'en détacher. Même s'il dessine et peint encore, il utilise aujourd'hui d'autres moyens (collage, écriture, néons), issus du surréalisme et adoptés par le néo-pop actuel, pour tenir un propos politique sur l'art et la société.

l'œuvre :

La Suzanne, ici, est un collage ancien. Deux feuilles sont réunies, deux essais pour un même dessin inspiré par la Suzanne du Titien, et de cette réunion fonctionnant comme une répétition ou un écho naît la singularité de l'œuvre. Le vieillard regarde Suzanne, à droite, tandis qu'à gauche la même Suzanne est le modèle du tableau du peintre. Comme l'avaient fait avant lui la plupart de ses aînés, Alberola signifie que cette histoire est avant tout une question sur le regard - qui regarde qui, qui regarde quoi, qui est qui, et qui est quoi ?